Je plaide coupable de ne pas prier assez. J’en suis là. Et vous, peut-être. On a beau dire, au risque de s’étouffer, que l’union à Dieu est la respiration de l’âme, la dernière roue de la charrette qui transporte nos journées est souvent pour le Maître. Et pourtant, que de résolutions, que de promesses n’avons-nous pas formulées en vue de prier davantage ! C’est ainsi, l’intelligence a beau se déterminer en se redisant inlassablement la valeur unique de la rencontre avec Dieu, quand l’heure sonne, celle de tout arrêter pour se tourner vers lui, il n’y a plus personne, ou pas grand monde. Mais pour autant - et que cela nous rassure sans tout à fait nous excuser - Dieu ne se vexe pas.
Par nature, au-dessus de la nôtre, il comprend la moindre défaillance et les enchaînements qui ne roulent pas : de nos désirs à leur accomplissement, il y a souvent la mer à traverser avec ses houles de paresse, ses vagues de distractions, et nos inconsistances à conserver le cap ! Dieu le sait fort bien, surtout depuis l’heure de son agonie où ses plus proches dormaient à poings fermés sans se soucier du sang qui perlait à son front.
Pauvres types que nous sommes, jamais au rendez-vous. Et pourtant, nous le savons parfaitement, c’est une chance inouïe que de pouvoir prier, lever la voix, le cœur et jusqu’à la moindre pensée en direction du Créateur qui, de son côté, aurait très bien pu fixer un autre type de rapport fondé sur un silence éternel et qui, marquant franchement les distances, aurait ainsi imposé à ses enfants une impossibilité radicale de lui parler : « Inclinez-vous, fermez-la, obéissez ! »
Bah ! Quel mauvais rêve je viens de faire ! Oubliez-le. En vérité, les portes sont ouvertes, les voix communiquent, l’amour sillonne en aller-retour, sur un faisceau de lumière doux et continu, l’invisible trajectoire unissant l’esprit de l’homme à celui de Dieu. C’est dire qu’entre terre et Ciel, la distance est nulle, à jamais abolie par l’adorable Trinité qui, au plus intime de nous-mêmes, restant aux aguets, espère un souffle qui l’appelle.
Mais souvent, rien. Elle constate nos mouvements, nos goûts, nos choix, nos rencontres, les fortuites et les amicales, nous trouve même assez loquaces à la table des amis, mais en sa direction, il faut l’avouer, ce n’est fréquemment que la dîme qui remonte, un dixième de notre temps et de nos mots.
Dieu, comme toujours, non seulement ne se vexe pas, mais encore se contente de ce qu’on lui donne. N’en profitons pas, ce n’est pas une raison pour rester dans la pâle tiédeur d’un lien dont l’idéal d’amour ne saurait se limiter à une poignée de main ou à une bise sur la joue.
À cet état d’insuffisance que je viens de décrire, il y faut un remède qui ouvre l’abcès, car rien n’est plus néfaste à l’âme que de voguer en demi-teinte. Se tenir de la sorte, sans nulle ferveur ni progrès, dépité mais tranquille, répétant à tout vent : « je ne sais pas prier », est l’aveu inavoué que l’on ne prend pas un temps suffisant pour le faire. Et c’est ainsi que l’on ne prie plus assez. Ne gémissons plus. Mettons-nous à l’œuvre.
À chacun sa méthode, son style et sa manière, mais prions.